Pourquoi est-il inutile de créer un nouveau délit d'homicide routier ?

21/07/2023

Par une déclaration en date du 17 juillet 2023, Madame Élisabeth Borne annonçait un projet de loi en vue de la création d'un nouveau délit d'homicide routier sans modification de la répression déjà existante.
Ce nouveau délit viendrait spécifiquement réprimer les homicides involontaires commis sur la route par des conducteurs ayant usage de stupéfiants ou sous l'emprise de l'alcool sans modifier les peines déjà applicables.
En l'état, ce nouveau délit est inutile en ce qu'il n'apporte pas de nouveauté au corpus juridique et est contestable en ne créant qu'un nouveau texte symbolique et superfétatoire.

Par une déclaration publique du 17 juillet 2023 et en réaction à des affaires médiatiques comme l'affaire dite 'Palmade', Madame Élisabeth Borne, première ministre, annonçait publiquement un projet de loi en vue de la création d'un délit dit 'd'homicide routier' dans le cas d'homicides involontaires commis par un conducteur sous l'emprise de l'alcool ou ayant fait usage de stupéfiants.

Selon l'annonce, ce nouveau délit procéderait uniquement à un changement sémantique en remplaçant le terme d'homicide involontaire par celui d'homicide routier et ne modifierait pas les peines encourues.

Ainsi, la création de ce délit, créé sous l'impulsion des familles des victimes, de la société et de certaines associations n'apportent en réalité rien de nouveau au corpus juridique actuel (I) mais aurait uniquement pour objet de rendre la qualification juridique 'plus agréable' aux proches des victimes. Cette création va dès lors venir ajouter un nouveau texte inutile dans l'application de la loi et ne conduire qu'à des mécontentements (II).

I/ Panorama sur les infractions de blessures et d'homicide involontaires par conducteur.

Les accidents de la circulation entraînant des blessures où la mort de la victime sont prévus et réprimés par le code pénal. Ceux-ci sont traités au chapitre des blessures et homicides dit involontaires.

Premièrement, les blessures involontaires sont réprimées plus ou moins sévèrement en fonction de leur gravité.
Les blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois sont punies de 2 ans d'emprisonnement et 30.000 € d'amende. La peine est portée à 3 ans d'emprisonnement 45.000 € d'amende lorsque l'auteur a commis une violation manifestement délibérée, à savoir une faute manifestement volontaire, à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement (article 222-19 du code pénal).

De la même manière, les peines sont portées à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende lorsque l'infraction est commise par un conducteur d'un véhicule terrestre à moteur (article 222-19-1 du code pénal). La peine est de 5 ans d'emprisonnement et 75.000 € d'amende dans l'hypothèse d'une violation manifestement délibérée à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, si les faits sont commis par un conducteur d'un véhicule terrestre à moteur ou en présence d'une circonstance aggravante, dont notamment la conduite d'un véhicule en ayant fait usage de stupéfiants ou sous l'emprise de l'alcool (article 222-19-1 du code pénal). Il sera noté que la violation manifestement délibérée d'une règle particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement devient une circonstance aggravante au même titre que les autres.

La peine prévue est de 7 ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende en présence de plusieurs circonstances aggravantes. Ainsi, et dans l'hypothèse d'un accident occasionnant des blessures involontaires entrainant une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois, le conducteur ayant fait usage de stupéfiants ou sous l'emprise de l'alcool serait passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende et jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende dans l'hypothèse d'une autre circonstance aggravante.

Les blessures involontaires entrainant une incapacité totale de travail inférieure à 3 mois sont quant à elle punies par une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe (article R.625-2 du code pénal). L'infraction redevient délictuelle avec une peine d'un an d'emprisonnement et 15 000 € d'amende en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement (article 222-20 du code pénal).

Les peines sont portées à 2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende dans l'hypothèse où l'infraction a été commise par un conducteur d'un véhicule terrestre à moteur (article 222-20-1 du code pénal).
La peine prévue est de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende lorsque ces blessures involontaires n'ayant pas entrainé d'incapacité totale de travail supérieure à 3 mois sont commises par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur et en raison d'une violation manifestement délibérée à une obligation particulière de prudence ou de sécurité ou avec une circonstance aggravante, dans lesquelles nous retrouvons là encore la conduite en ayant fait usage de stupéfiants ou la conduite sous l'emprise de l'alcool (article 222-20-1 du code pénal). Il sera noté là aussi que la violation manifestement délibérée d'une règle particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement devient, là aussi, une circonstance aggravante au même titre que les autres.

La peine est de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende dans l'hypothèse où il existe plusieurs circonstances aggravantes (article 222-20-1 du code pénal).

Deuxièmement, en ce qui concerne l'infraction d'homicide involontaire ; celui-ci est réprimé de la peine de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende. La peine est de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende en cas de violation manifestement délibérée d'une règle particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement (article 221-6 du code pénal).

Les peines sont de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende lorsque l'homicide involontaire est commis par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur (article 226-6-1 du code pénal). La peine encourue est de 7 ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende en cas de violation manifestement délibérée à une règle particulière de prudence ou de sécurité ou en présence d'une circonstance aggravante, dont fait partie la conduite en ayant fait usage de stupéfiant ou sous l'emprise de l'alcool (article 226-6-1 du code pénal). La peine est de 10 ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende s'il existe plusieurs circonstances aggravantes.

Ainsi, le conducteur d'un véhicule en ayant fait usage de stupéfiants ou sous l'emprise de l'alcool occasionnant un accident mortel de la circulation risquerait une peine maximale entre 7 et 10 ans d'emprisonnement en fonction du nombre de circonstances aggravantes.

De nombreuses peines complémentaires peuvent s'ajouter comme par exemple l'annulation du permis de conduire avec interdiction de le repasser pendant une durée maximale de 5 ans ou encore une interdiction de conduire tout véhicule terrestre à moteur pendant une durée maximale de 5 ans (article 221-8 du code pénal).

Il résulte de l'ensemble de ces textes que les infractions involontaires sont déjà plus ou moins réprimées en fonction de la gravité de celle-ci et qu'il est dès superfétatoire d'ajouter une qualification pénale surabondante sans aucun changement dans la répression dans l'hypothèse routier.

La réalité est que le projet de loi présenté par le gouvernement n'a que comme unique objectif de satisfaire les attentes des associations et familles de victimes en supprimant l'utilisation du terme involontaire, naturellement in-entendable pour les proches de victime. Il n'en demeure pas moins que ce nouveau délit, sans modifier la répression, reste dans les infractions dites involontaires en ce que l'auteur n'a pas eu l'intention du résultat, à savoir les blessures ou le décès. Ainsi, ce projet de loi va venir créer un texte supplémentaire, complexifiant une nouvelle fois le droit déjà complique et volumineux en la matière, de manière inutile.

II/ Délit d'homicide routier : une nouvelle infraction contestable.

L'annonce de ce nouveau délit semble n'avoir fait que des mécontents.

Comme déjà évoqué, la création de ce nouveau délit n'apportera rien de nouveau en termes de répression.

L'objectif à peine dissimulé du gouvernement pour la création de ce nouveau délit est de répondre à la demande des associations et des familles des victimes d'accidents mortels de la route. En effet, les associations et familles des victimes de la route dénonçaient le recours au terme 'd'homicide involontaire' lorsqu'un conducteur cause le décès d'autrui sur la route alors qu'il est sous l'emprise de stupéfiants ou d'alcool. Le caractère volontaire de la prise de produits dangereux pour la conduite, en toute connaissance de cause, rendrait pour eux l'infraction plus grave, et ils revendiquaient dès lors une répression plus forte.

Là encore, en ne modifiant pas les peines encourues par le responsable de l'accident, le projet de loi du gouvernement fait des mécontents, et ce aussi au niveau des associations et familles des victimes d'accidents mortels de la circulation qui attendaient une aggravation de la répression dans ces cas.

Beaucoup militent pour faire échapper ce type d'accident à la qualification pénale d'homicide involontaire et pour créer un véritable délit d'homicide routier autonome. Le raisonnement consiste dans le fait que la prise volontaire d'alcool ou la prise de produits stupéfiants ferait perdre à cette infraction son caractère involontaire.

Si le raisonnement des proches de victime s'entend d'un point moral, cette solution est toutefois juridiquement contestable.

En effet, le fondement du droit pénal est de punir les comportements interdits commis volontairement par la personne auteur de l'infraction. L'alinéa 1er de l'article 121-3 du code pénal prévoit ainsi que :

« Il n'y a point de crime ou délit sans intention de le commettre ».

Ce n'est donc que par exception que l'article 121-3 du code pénal vient par la suite envisager l'hypothèse des infractions dites involontaires.
Ainsi, et par exception, ce texte prévoit que :

« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par loi ou le règlement… ».

Classiquement, les infractions dites involontaires se définissent comme celles où l'auteur, commettant une faute initiale, engendre un préjudice non-souhaité (blessures ou décès). Bien évidemment, la gravité de la faute initiale (de la simple faute d'imprudence au manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi) influence sur la gravité de l'infraction. Tout le monde conçoit que la gravité n'est pas la même en fonction que les blessures ou l'homicide ne soient la résultante que d'une simple faute d'imprudence ou d'un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Ainsi, faire sortir cette infraction des infractions involontaires comme le souhaitent certaines associations et familles de victime semble juridiquement périlleux. Cette infraction retomberait alors dans le champ des infractions volontaires et il conviendrait alors de démontrer la volonté d'atteindre le résultat, à savoir dans l'hypothèse de l'homicide, la volonté de donner la mort. Il faudrait alors démontrer que la prise d'alcool ou de produits stupéfiants par le conducteur a été faite dans le but de causer la mort à autrui. C'est d'ailleurs cette volonté qui distingue l'homicide involontaire de l'homicide volontaire.

Enfin, il semble difficile d'aggraver les sanctions de ce délit dans la mesure où à ce jour l'homicide involontaire commis par un conducteur sous l'emprise de stupéfiants et/ou de l'alcool est d'ores et déjà possiblement puni de la peine la plus forte en matière délictuelle, à savoir 10 ans d'emprisonnement. Aggraver la répression reviendrait à criminaliser ces faits avec toutes les conséquences procédurales que cela impliquent, tant pour l'auteur que pour les victimes.

Dans l'hypothèse où le conducteur serait sous l'emprise de stupéfiants ou de l'alcool au moment des faits, peut-être faudrait il alors envisager la création d'un crime d'homicide routier puni de 15 ans de réclusion criminelle comme pour les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ? Ou bien faudrait il créer un réel délit d'homicide routier en aggravant la peine à 10 ans d'emprisonnement avec la seule circonstance aggravante de conduite en ayant fait usage de stupéfiants ou sous l'emprise de l'alcool au risque d'effacer l'échelle de gravité dans l'hypothèse de cumule de plusieurs circonstances aggravantes ? Cela serait-il efficace et souhaitable ? Seul le législateur pourrait en décider ainsi ! Dans tous les cas et en l'état, ce projet de loi semble bien inutile et contre-productif !